Histoire et évolution des espaces de travail jusqu'à l'open space

Histoire et évolution des espaces de travail au fil des siècles jusqu’à l’open space

Souvent décrié depuis la dernière décennie déjà, la critique de l’open space n’a été qu’exacerbée par la crise sanitaire. Seule une minorité d’actifs plébiscite ce type d’espace de travail en 2021, alors que les deux-tiers souhaiteraient des bureaux fermés. Comment expliquer une telle lassitude ? Pour le comprendre, revenons à la genèse de l’espace de travail. Celui-ci a subi de profondes mutations, liées à la fonction, à l’activité, au contexte économique et sociétal. Retour sur les bureaux au fil de l’histoire jusqu’à l'invention de cette typologie d'espace ouvert, née avec le secteur tertiaire et longtemps vantée comme un apanage de modernité.
Crédit Photo : Planet Pompeii

IVème siècle av. J.C : le premier bureau chez les Romains

C’est dans la Rome Antique que le premier espace de travail fait son apparition, sous la forme du Tablinum : une pièce de l’habitation étrusque servant de bureau du maître de maison et de salle d'archives pour les documents relatifs au statut de la famille, à leurs magistratures et aux activités foncières. De nombreuses évidences laissent penser que ces structures constituent les premiers bureaux, disposant d’une table au centre de la pièce.

Au VIIème siècle : les scribes du Moyen Âge

C’est ensuite avec la montée en puissance de l’écriture au Moyen Âge qu’on observe la généralisation d’espaces de travail que sont les Scriptorium, le bureau des monastères composé d’une table inclinée, sur laquelle les moines réalisent leurs manuscrits. Bien que la plupart des scribes professionnels effectuent leur tâche depuis leur propre maison, probablement sur un bureau près d'une fenêtre, c’est la première fois que l’on voit apparaître un espace spécifiquement dédié au travail en dehors du domicile. Cette configuration s’étend successivement aux bâtiments officiels et aux palais royaux pour les activités diplomatiques et la préparation des documents officiels. 

Crédit Photo : Artstation
Crédit Photo : Air France

Au XVIème siècle : les espaces partagés à la Renaissance

On peut penser que l’ancêtre de l’open space prend place dans les ateliers de la Renaissance en Italie : des espaces ouverts, favorisant l’échange et la créativité, avec des tables et du matériel pour travailler. Les artistes humanistes notamment s’y retrouvent pour débattre des nouvelles idées et promeuvent le dialogue pour bâtir les ponts entre l’art et la science. 

À la même époque, le grand-duché de Toscane fait construire pour la conduite d’État un tout nouvel ensemble de bureaux, les Offices, un des patrimoines les plus célèbres au monde. C’est la première fois que l’on voit naître le concept de bureaux centralisés

Le siècle suivant, le terme de « cabinet » conceptualise à la fois le meuble et la pièce.   

Le Dictionnaire de l’Académie française de 1684 le définit ainsi : « lieu de retraite pour travailler, ou converser en particulier, ou pour y serrer des papiers, des livres, ou quelque autre chose, selon la profession ou l’humeur de la personne qui y habite ». 

Au XVIIIème siècle : les buildings de l’Empire Britannique

La construction des premiers buildings poursuit la centralisation des espaces de travail. Avec l’expansion de l’Empire Britannique et le développement du commerce, le tout premier building baptisé « The Old Admiralty Office » sort de terre à Londres en 1726. Il se place en haut lieu de l’administration de la flotte royale et comporte des salles de réunions. La salle du board Admiralty est encore utilisée aujourd’hui. 

S’en suit une série de constructions de sièges sociaux des entreprises, dont le premier en 1729 est celui de l’East India Trading Company à Leadenhall Street afin d’y organiser le processus de production. L’idée est de séparer les équipes dédiées au travail « intellectuel » de celles dédiées au travail manuel, que le gouvernement formule dans un rapport : 

« Pour le travail intellectuel, des salles séparées sont nécessaires afin que les personnes travaillant avec leur tête ne soient pas interrompues ; et pour le travail plus mécanique, le bon mode d’organisation repose sur le regroupement de nombreux employés dans une seule et même pièce et coordonnés sous un directeur qualifié. » 

Crédit Photo : British Library

XIXème siècle : L’émergence des bureaux modernes avec la Révolution Industrielle

La révolution industrielle marque véritablement la naissance des bureaux tels que nous les connaissons aujourd’hui. Avec le développement du secteur du tertiaire, les administrations centralisées pour faciliter l’organisation des processus de production se généralisent. Le sociologue et architecte Marc Bertier, auteur de « Open space : entre mythes et réalités » (2016), explique : « Avant on avait des compagnies avec des artisans, des ouvriers... et le travail de traitement de l’information était très faible. Avec l’industrialisation, on va avoir de plus en plus de services dits "supports", qui vont créer le travail tertiaire. » 

XXème siècle : Les immeubles gratte-ciel des États-Unis & le Taylorisme

Dès le début du XXème siècle dans les grandes villes des États-Unis comme New York ou Chicago, les sièges commerciaux sont construits très en hauteur afin d’accueillir de nombreux bureaux plus vastes et plus éclairés. L’invention de l’éclairage électrique, du système de ventilation de l’air et du télégraphe rend possible l’installation de bureaux qui n’ont plus besoin de se situer à proximité directe des usines. Cette architecture permet également d’abriter tous les bureaux dans un seul immeuble. 

Dans le même temps, l’open space gagne en popularité en suivant les principes du Taylorisme et son Organisation Scientifique du Travail (OST) : l'organisation horizontale du travail, l'organisation verticale du management, le contrôle du travail et le salaire au rendement. Cela se traduit par une répartition de l’espace inspirée des lignes de montage des usines pour favoriser la division du travail et une productivité accrue, composée de grandes rangées de bureaux ouverts et de plateaux depuis lesquels les directeurs peuvent surveiller, 

En 1906, l’inauguration du Larkin Administration Building symbolise le premier ensemble de bureaux modernes avec ses grands plateaux ouverts. L’architecte Frank Lloyd Wright s’est inspiré du gigantisme des cathédrales pour des raisons esthétiques, mais surtout pour répondre au besoin de supervision et de contrôle des employés. 

 

À cette époque, la France reste à l'écart de ce mouvement. "Des immeubles administratifs et des sièges sociaux ont été construits dans la première moitié du XXe siècle, mais la plupart des employés de l'époque travaillaient encore dans des appartements bourgeois reconvertis en bureaux", explique Michael Fenker, directeur scientifique du Laboratoire espaces travail de l'École nationale supérieure d'architecture de Paris-La Villette (ENSAPLV).

Crédit Photo : Radius Office
Crédit Photo : Radius Office

En 1939, le même architecte Wright dessine les bureaux de The Johnson Wax : 200 employés commerciaux sont regroupés dans un seul open space, enrichi par des éléments nouveaux comme un éclairage clair, des tons chauds, et un revêtement du plafond en liège jouant un rôle majeur dans l’acoustique. 

Années 1950 : Le “bureau paysager” en Allemagne

L’espace de travail évolue au lendemain de la seconde guerre mondiale avec l’adoption de modèles plus démocratiques et la promotion de l’engagement humain et des interactions sociales. 

Les frères Eberhard et Wolfang Schnelle, deux consultants allemands, plébiscitent une approche moins rigide et moins scientifique que le Taylorisme, et mettent en lumière l’importance de la communication au sein de l’entreprise. Ils imaginent le Burolandschraft, les premiers espaces généreux, sans cloison pour favoriser l’échange et la collaboration, et de nombreuses plantes vertes pour segmenter l’espace d’une manière plus naturelle. Ils sont aussi les premiers à standardiser le mobilier, qui devient plus léger et plus confortable ; dans un contexte où s’asseoir confortablement était synonyme de paresse au travail et le type de chaise était défini en fonction du statut social dans l’entreprise. 

Crédit Photo : Human’s scribbles
Crédit Photo : Herman Miller

Années 1960 : « Le bureau d’action » et le « Cubicle »

« Le bureau d’action » se développe en réaction au « bureau paysager » considéré comme très hasardeux aux États-Unis. Il s’agit de bureaux modulables composés de panneaux et d’espaces de travail à hauteur variable, capables de s’adapter aux diverses activités des salariés pour fluidifier les déplacements et les interactions, tout en protégeant l’intimité des salariés. Les espaces sont donc semi-fermés avec des cloisons. C’est l’entreprise américaine Herman Miller qui commercialise ces premiers « Action Office Series 1 » en 1964. 

Crédit Photo : Phil Gyford’s

Ces changements dans l’organisation de l’espace s’expliquent aussi par le développement du travail des femmes dans un milieu longtemps masculin, qui induit un besoin d’intimité. Celles-ci réclament « un modeste plateau » pour couvrir l’avant des bureaux et les jambes. Et pour cause, The Observer titre un article en 1968 « Laisseriez-vous votre fille travailler dans un open space ? »

Crédit Photo : Beyond the Cubicle

Le secteur tertiaire représentant désormais 50% de la population active, le designer américain Robert Probst imagine le ”cubicle” en 1968, largement popularisé dans les années 1980 : des bureaux à cloisons amovibles à hauteur de poitrine mesurant environ 1,50 mètres, pour une isolation acoustique tout en offrant une vue d’ensemble sur les bureaux en position debout. Permettant notamment aux managers une surveillance des employés et vendu à bas prix, ce format de bureau est souvent associé à des conditions de travail délétères. 

Années 1970 : Les « villages de travailleurs » en Hollande

En 1974, l’architecte néerlandais Herman Hertzberger crée le Central Beheer Insurance Company, un espace conçu comme un “village de travailleurs” : une multitude d’espaces de taille égale, dupliqués et formant des îlots connectés entre eux. Ils peuvent accueillir des groupes jusqu’à dix personnes, incitées à décorer eux-mêmes leur espace de travail avec leur mobilier personnel. Le but est de créer « le sentiment d’appartenir à une communauté ». 

Années 1980 : L’âge d’or de l’open space

Très vite, l’open space séduit par sa capacité à augmenter la superficie des espaces de travail à moindre coût et s’impose comme le modèle des entreprises de services, des banques et des cabinets d’assurance, jusqu’à s’étendre aux petites entreprises. Vanté pour sa configuration moderne et souple, la facilité des déplacements, l’accès à la lumière, la transparence, la communication entre collaborateurs et l’aplanissement de la hiérarchie, il devient l’objet de culte et l’obsession managériale des années 1980. 

Pourtant, "l'open space est à la fois l'aménagement le plus prisé des manageurs et le plus contesté par les employés", note la sociologue Thérèse Evette. Il est pointé du doigt comme un espace impersonnel et standardisé, supprimant l’intimité, et source de nombreuses nuisances sonores, de troubles de la concentration et de stress. Il génère le sentiment de contrôle permanent : « Sur un plateau, les salariés travaillent en permanence sous l'œil de leurs collègues et de leurs chefs. Or tout le monde a besoin d'un peu d'ombre, d'un peu d'intimité, d'un peu de quant-à-soi. Ce contrôle de soi épuise les salariés et nourrit leur stress. » explique Danièle Linhart, sociologue du travail au Cresppa-CNRS. De nombreux ouvrages témoignent de cette souffrance, comme « L’Open-space m’a tué » d’Alexandre des Isnards ou la pièce de théâtre « Open Space » de Mathilda May. 

Crédit Photo : Wikiwand

Années 2000 : Vers un open space décontracté

Conscientes de ces limites de l’open space, les entreprises tentent de s’éloigner d’une optique de rentabilité exclusive des espaces de travail. Les architectes y introduisent des éléments de loisir et de décoration personnelle dans le but de rendre l’espace agréable et confortable. Les entreprises de la Silicon Valley sont les premières à concevoir des espaces chaleureux pour favoriser l’innovation et la sérendipité des salariés : jardins, cafétéria, feu de cheminée, cours de sport, gros poufs moelleux, wifi partout et possibilité de poser son ordinateur portable n’importe où selon son humeur du jour.

2015 : le plus grand open space du monde

L’emblème de cette nouvelle typologie d’espace de travail qui se veut axée sur le bien-être est le MPK20, siège de Facebook inauguré en 2015 à Menlo Park en Californie : une superficie grandiose de 40.000 m2 pour seulement 2.800 employés, et 36.000 m2 de jardin où ils ont la possibilité de travailler au grand air. Tous les services comme la blanchisserie ou la réparation de voiture sont intégrés. Le but est toujours de « renforcer l’esprit de communauté » grâce à des espaces ouverts selon Mark Zuckerberg. 

Crédit Photo : Level 10 Construction

Aujourd’hui : de l’open space au multi space

La pandémie de 2020 a largement accéléré l’adoption du télétravail, de manière contrainte parfois, mais a permis à un grand nombre de personnes de découvrir des conditions de travail sereines rendant possible la concentration et une liberté de parole. L’opportunité de travailler dans des lieux nouveaux, voire en dehors des villes, favorise la rupture avec la routine de travail. Entre les collaborateurs refusant de revenir au bureau et préférant le 100% travail à distance, ceux qui se sentent isolés et souffrant du télétravail, les nouvelles stratégies de desksharing, flex office, ou encore l’émergence de coworking et tiers-lieux, l’espace de travail est aujourd’hui en profonde mutation. Le salut des entreprises passera par la capacité à se réinventer en tenant compte de la culture de l’entreprise aussi bien que des aspirations des équipes, et à recréer du lien au cœur d’organisations hybrides. 

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