CPO pour l’aménagement des espaces de travail ?

Les entreprises devraient-elles recruter un CPO dédié à l’aménagement de leurs espaces de travail ?

De nombreuses technologies apparues au cours de la dernière décennie permettent aujourd’hui de collecter dans les espaces de travail des data sur des facteurs essentiels au bien-être et à la productivité des employés : température, niveau de CO2, taux de traffic dans une salle de réunion, nombre d’invités reçus par jour, heure moyenne d’arrivée des employées… Ce flot de nouvelles informations permet ainsi de mesurer et optimiser l’expérience des collaborateurs et de transformer les bureaux, autrefois véritables boîtes noires, en produits à mi-chemin entre le physique et le digital. Dans un contexte où la pandémie force à revoir régulièrement le design et l’utilisation de ses bureaux, ne faudrait-il pas alors envisager de recruter une personne responsable à temps plein de la collecte de ces données et de ces aménagements ?

Les progrès technologiques influencent le design des bureaux

L’évolution du design des espaces de bureaux est intimement liée aux différentes vagues d’innovations technologiques. Alors que la Révolution industrielle (1760-1840) bat son plein au début du XIXe siècle, une série d’inventions et de prouesses technologiques modifient profondément la façon de construire, designer et utiliser les espaces de bureaux. L’invention de l’éclairage électrique en 1802 par le chimiste anglais Humphry Davy, puis sa commercialisation massive dans les années 1880 grâce au travail de Thomas Edison, permet aux employés de bureau de travailler plus longtemps sans consommer trop d’éclairage au gaz, alors très cher, et surtout loin des fenêtres, ce qui augmente de facto la superficie occupable. L’invention de l’ascenseur électrique en 1857 par l’Américain Otis et l’avènement des charpentes métalliques permettent conjointement aux tours de bureaux de s’élever. C’est ainsi que les gratte-ciels se répandent rapidement aux États-Unis de la côte Est à la côte Ouest, en particulier à Chicago et à New York. Les gratte-ciels multiplient la surface de bureaux sur un même lopin de terre, permettant ainsi de rentabiliser les investissements dans des terrains dont le prix n’a cessé de grimper. L’invention par ailleurs de l’air conditionné Willis Haviland Carrie en 1902 aux Etats-Unis vient résoudre des problèmes liés à la régulation de la température entre les étages et d’éviter que la pollution entre par les fenêtres laissées ouvertes, offrant ainsi de meilleures conditions de travail aux employés. Enfin, le télégraphe électrique inventé en 1839 et le langage Morse permettent de communiquer à grandes distances, celle des machines à calcul de traiter de vastes quantités d’informations, permettent d’éliminer au fur et à mesure la paperasse. Les bureaux deviennent alors de plus en plus organisés, spacieux, lumineux et ouverts.

Dessin du brevet d’ascenseur par Otis. Crédit Image : U.S. National Archives

Le krach de Wall Street en 1929 et la crise économique qui suit finit d’entériner la vague de rationalisation des espaces de bureau. Les entreprises investissent alors massivement dans le redesign de leurs bureaux non plus seulement en vue de favoriser l’organisation et la production mais également d’augmenter l’efficacité et la rapidité des collaborateurs. L’utilisation de nouveaux matériaux ou de mobilier acoustique change également la décoration d’intérieur des bureaux. Le Johnson Wax Building de l’architecte Frank Lloyd Wright inauguré en 1939 en est un parfait exemple. Le bâtiment se distingue des autres bureaux de l’ère tayloriste avec ses lumières vives, ses couleurs et matières chaleureuses, et le liège utilisé dans les plafonds afin d'absorber le bruit. Les employés se retrouvent rassemblés dans une seule grande pièce, isolés à la fois de la fumée industrielle et du bruit de la ville. C’est un succès puisque les 250 employés se retrouvent à passer plus de temps, à la fois récréatif et professionnel, à l'intérieur du bâtiment.

Le bâtiment administratif de SC Johnson imaginé par Frank Lloyd Wright. Crédit Image : SC Johnson

L’arrivée d’Internet, avec l’adoption généralisée des ordinateurs au cours des années 1990, chamboule par la suite l’organisation des espaces de travail. L’email devient le moyen de communication principal, ce qui finit de faire disparaître la paperasse des bureaux et des espaces. Les bureaux, autrefois recouverts de feuilles, se retrouvent alors dotés d’un ordinateur et de son écran, et l’espace pour stocker les documents et les archives s’amoindrit aux profits de nouveaux espaces comme les salles de réunion ou de repos. L’arrivée du smartphone, du Wifi et de l’ordinateur portable au début des années 2000 rend par la suite possible la communication et l’exécution de certaines tâches à n’importe quel moment et endroit. Le salarié n’est ainsi plus contraint de travailler à son cubicle mais se retrouve libre de le faire depuis une salle de réunion, un espace détente ou la cafétéria. Le design du bureau devient alors plus fluide, plus confortable, en particulier au sein des entreprises technologiques de la Silicon Valley où l’on voit apparaître des poufs, des salles de détente, des cafés, des terrains de sport…

Le capteur de Density permet de compter les personnes. Crédit Image : Density

Le bureau d’aujourd’hui est de plus en plus digitalisé

Les innovations software et hardware de la dernière décennie permettent maintenant de collecter des données sur l’utilisation des espaces de travail et ainsi de les optimiser. Le développement et la production à moindres coûts de nouveaux capteurs et d’objets connectés, rassemblés sous la dénomination “Internet of Things” (IoT) ou “Internet des objets”, permet pour la première fois aux particuliers et aux entreprises de mesurer, suivre et optimiser des paramètres aussi divers que le rythme cardiaque, le taux de CO2 dans l’air ou l’amplitude de secousses sismiques au sein d’un bâtiment. A partir de 2009, le nombre de ces objets dépasse le nombre d’êtres humains présents sur la planète (12,5 milliards d’objets connectés contre 6,8 milliards d’humains), offrant ainsi de nouvelles opportunités aux entreprises de comprendre comment les équipes utilisent les espaces de bureau. Les startups américaines Density et Vergense permettent ainsi, grâce à leurs capteurs respectifs, de mesurer et de suivre l’utilisation des espaces de bureaux, que ce soit une salle de réunion, un ilôt de bureaux ou encore un couloir. La startup Awair propose quant à elle aux entreprises de mesurer la qualité de l’air dans ses bureaux grâce à la collecte de différentes data : la température, l’humidité, le CO2, le taux de particules et le taux de toxicité. L’installation de son système Omnis couplé à un dashboard a ainsi permis à l’équipe d’Airbnb d’identifier rapidement un système de purification de l’air mal installé et de le réparer.

Alors que les data sur les espaces de travail se multiplient, le monde de l’entreprise se voit  par ailleurs de plus en plus contraint de prendre en compte le bien-être de ses employés. Des plateformes de notation comme Glassdoor, Comparably, Indeed donnent aujourd’hui l’opportunité aux employés de noter et donner leur avis sur leur employeur de manière publique et anonyme. Il s’agit désormais de mesurer et améliorer la satisfaction des employés au même titre que la satisfaction client. Le bureau, de fait digitalisé et converti en data, est donc essentiellement un produit dont les paramètres peuvent être mesurés et contrôlés en vue d’optimiser son utilisation et la qualité de l’expérience de ses usagers. Le collaborateur s’apparente ainsi à un client qu’il s’agit de recruter et fidéliser grâce à une expérience “produit” attrayante.

L’expérience employée peut désormais être mesurée et optimisée de la même manière qu’une expérience utilisateur

Dans son article Building business value with employee experience, les chercheurs Kristine Dery et Ina M. Sebasitian montrent que l'expérience employé est corrélée à la performance business voire en est un facteur prédictif. Dans leur échantillon, les entreprises qui sont classées dans le quartile supérieur pour leur expérience employé ont développé des innovations plus réussies, tirant deux fois plus de revenus de leurs innovations que celles du quartile inférieur. Et leur Net Promoter Score (indicateur permettant de connaître et de mesurer la satisfaction et la fidélisation des clients) ajusté par secteur était deux fois plus élevé. En particulier, les chercheurs ont trouvé que les entreprises dont l’expérience employé était la plus mal notée avaient une approche plus passive, cherchant rarement le feedback des employés et avant tout à travers des rapports de cadres supérieurs, des sondages employées et d’autres données RH traditionnelles au lieu d’investir dans des capteurs connectés, de nouveaux outils digitaux, d’autres canaux de communication, etc.

Les espaces de travail doivent s’adapter de plus en plus vite aux nouvelles prérogatives sanitaires liées au COVID

La dernière décennie et la crise du COVID ont accéléré le rythme auquel les bureaux doivent s’adapter. Les bureaux doivent changer de plus en plus rapidement, au point où la seule façon de les rendre flexibles serait sans doute de les rendre complètement modulaires. La pandémie, en bousculant du jour au lendemain les habitudes de travail de millions d’employés de bureau, n’a fait que remettre les thèmes du bien-être de l’employé et du design des bureaux sur le devant de la scène. Comment justifier l’existence d’un bureau quand son taux d’occupation se voit régulièrement limité par des mesures et préconisations gouvernementales ? Comment convaincre des employés désormais habitués à télétravailler chez eux ou des employés ayant décidé de déménager dans une autre ville de revenir dans les bureaux de l’entreprise ? En particulier, le flex-office qui séduit de plus en plus d’entreprises depuis la pandémie - 55% d’entre elles songent à passer prochainement au flex-office, en premier lieu pour réduire les coûts liés à la location de bureaux (Deskeo) - implique des changements de mobiliers et d’agencement importants. Parce que les différentes vagues de la pandémie limitent la visibilité sur le moyen et long terme, il devient primordial et stratégique pour les entreprises de prendre les bonnes décisions quant à l’aménagement de ses espaces. Faut-il modifier tout le mobilier des cantines pour permettre aux équipes de se retrouver à l’heure du déjeuner tout en respectant les mesures de distanciation sociale ou faut-il transformer la cantine en un espace hybride pour un tout autre usage ? La question de la responsabilité de ces décisions se pose alors : à qui doit-on attribuer la réflexion stratégique et opérationnelle de tels changements si ce n’est à une seule et unique personne dont la fonction serait essentiellement celle d’un responsable produit, un Chief Product Officer en quelque sorte, dédié à l’amélioration des espaces de travail de l’entreprise ?

Recruter un CPO des bureaux se justifie de plus en plus

La convergence de la digitalisation des bureaux, de l’importance grandissante du bien-être et de la satisfaction des employés, et de la flexibilité imposée par l’incertitude liée à la condition sanitaire pourrait donc justifier la création d’un poste dédié au sein de l’organigramme. Il serait ainsi facile d’imaginer un responsable produit en charge de l’amélioration continue des espaces de travail à la manière d’un Chief Product Officer, titre que l’on retrouve de plus en plus dans l’univers des startups et qui revient aux cadres responsables des diverses activités liées aux produits de l’organisation.

Dans un article publié en 2019 dans la revue Harvard Business Review (Why Every Company Needs a Chief Experience Officer, 2019, HBR), l’experte en branding Denise Lee Yohn explore ainsi l’idée de faire converger l’expérience client avec l’expérience employé pour créer des synergies et des passerelles entre les deux en proposant le rôle de Chief Experience Officer. L’objectif est de distinguer cette fonction du département des ressources humaines parce que l’expérience employé impacte bien plus que les fonctions RH : la gestion des espaces, la communication interne, l’IT et même la responsabilité sociale de l’entreprise. Yohn s’appuie en ce sens sur une étude du groupe Gallup qui révèle que les groupes de travail associés au quartile supérieur de l'engagement des employés ont surperformé les groupes du quartile inférieur de 10 % sur les notes des clients, de 22 % sur la rentabilité et de 21 % sur la productivité, et avaient une moindre expérience de roulement de personnel, d’absentéisme et d’accidents.

Il n’est pas étonnant donc de voir certaines grandes entreprises investir dans le sujet et se doter d’un responsable expérience employé : le géant automobile américain Ford a ainsi recruté Kiersten Robinson en octobre 2020 comme Chief People and Employee Experiences Officer, Adobe a mis en charge Gloria T. Chen comme Chief People Officer and Executive Vice President, Employee Experience afin de s’occuper de créer une expérience employé excellente et homogène pour les 22 000 salariés d’Adobe répartis sur 75 localisations à travers le monde. Enfin, le groupe L’Oréal a quant à lui un Chief Employee Experience Officer depuis septembre 2021. Il reste à voir si cette tendance se confirme à travers la normalisation de ces nouveaux intitulés de postes dans les prochaines années.

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