Le bureau virtuel comme solution aux challenges du travail à distance

Le bureau virtuel, un outil efficace pour relever les challenges du travail à distance ?

D'après une étude de l'INSEE, 3% des salariés déclaraient en 2017 pratiquer le télétravail au moins un jour par semaine. En juin dernier, cela concernait 24% des salariés. Alors que les confinements ont permis l'adoption rapide de nouveaux outils digitaux et de process fluidifiant le travail à distance, les managers et collaborateurs sont pour la plupart peu formés par les entreprises à ces nouvelles pratiques.

Comment faire face alors aux difficultés corollaires au travail à distance ? Comment réduire la "zoom fatigue", cet épuisement lié à la multiplication des sessions de visioconférence, quand on sait par ailleurs que le télétravail peut également, de manière apparemment contradictoire, engendrer un sentiment de solitude ?

Les entreprises doivent en effet faire face aujourd’hui à un défi de grande ampleur : maintenir l’engagement, la productivité et la collaboration de leurs employés travaillant à distance. De meilleurs outils de communication en ligne pourraient-ils être une réponse ? Une nouvelle génération de startups pense que oui, à condition de recréer une expérience digitale qui soit similaire à celle que les employés de bureaux vivent quand ils viennent travailler dans les espaces de travail de leur entreprise. S’inspirant du monde du gaming, ces startups, à l'instar de Gather, proposent ainsi de rejoindre un bureau virtuel en ligne où l'employé, grâce à son avatar, peut se promener à sa guise dans ce metaverse censé faciliter la réplication des modes d’interactions opérant dans un bureau physique. L’engouement pour ce type d’outil est tel que le marché mondial des bureaux virtuels devrait croître de 21,9% en un an et passer de 27 milliards de dollars en 2020 à 32,9 en 2021.

Crédit Photo : The Standing Desk

La digitalisation du travail a permis de dissocier le travail de là où il se fait

L’apparition de ces virtual HQs ou virtual offices (autrement dit les “bureaux virtuels”) s’inscrit dans une plus grande tendance : la gamification des outils de travail. Ce phénomène a été rendu possible par la digitalisation progressive du travail depuis la fin des années 1990. Il est intéressant de noter que "virtual office" désignait au début des années 2000 un nouveau mode de travail impliquant l’utilisation du téléphone, de l’email et d’Internet plutôt que la collaboration en présentiel. C’est à partir de ce boom des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) qu’on conçoit alors de dissocier le “bureau” comme endroit physique de là où le travail se fait. Le travail, parce qu’il peut désormais se faire en ligne et donc partout, devient alors “virtuel” et mobile.

La question de l’organisation de l’information en ligne s’est alors posée : comment permettre aux collaborateurs d’accéder facilement aux données nécessaires à leurs tâches s’ils ne sont pas dans les enceintes de l’entreprise ? La réponse fut la création, au cours des années 2000, des intranets, à savoir des portails en ligne à partir desquels les employés pouvaient accéder, par exemple, aux actualités de l'entreprise ou au répertoire des collaborateurs. 

L’adoption généralisée par le grand public des réseaux sociaux comme Facebook (créé en 2004) et Twitter (créé en 2006) entraîne par la suite un renouveau de ces intranets qui intègrent alors une composante sociale. Facilitant la communication et la collaboration entre les équipes et les employés, l’intégration progressive de nouveaux outils digitaux comme les messageries instantanées, les outils RH, etc. transforme ces intranets autrefois très statiques en de véritables hubs : c’est l’avènement du digital workplace.

La consumérisation des outils de travail a ouvert la voie à leur gamification

La digitalisation des outils de travail a également été accompagnée de leur consumérisation progressive. En 2005, Gartner déclarait ainsi que la consumérisation était "la tendance la plus importante touchant l'IT pour les dix prochaines années". Ce phénomène se traduit par la diffusion d'une technologie initialement développée pour le marché B2C dans la sphère B2B. Il a été rendu possible parce que la frontière entre la sphère privée et la sphère professionnelle s'est affinée au cours des dernières décennies à cause de la digitalisation-même du travail, le smartphone étant au cœur de ce processus. Ce n’est donc pas un hasard si Facebook lance son outil de réseau social d’entreprise Facebook at Work en 2016.

Le glissement de la consumérisation des outils de travail vers leur gamification s’est opéré ces dernières années grâce au succès grandissant des jeux vidéo auprès du grand public. La “gamification”, terme apparu pour la première fois en 2008, a été définie en 2011 par les chercheurs Sebastian Deterding, Dan Dixon, Rilla Khaled et Lennart E. Nacke comme “l'utilisation d'éléments de conception de jeux dans des contextes non liés aux jeux vidéos”. Avec le développement de nouvelles technologies telles que la 4G ou le cloud, et des smartphones et ordinateurs capables désormais de supporter des applications gourmandes en espace de stockage et en data, le terreau était favorable à la diffusion des jeux vidéo autrefois réservés à un marché de passionnés. Aujourd’hui, grâce au smartphone, ils touchent toutes les strates de la société : en 2020, les jeux mobiles représentaient près de 50% des revenus de jeux vidéo à l'échelle mondiale, familiarisant ainsi des millions d’utilisateurs aux codes et aux interfaces des jeux vidéo. 

La consumérisation des outils de travail. Source : IDG Enterprise

La gamification se poursuit sur le marché B2B avec l’application explicite des codes gaming aux outils de travail. Par exemple, la startup Centrical a récemment levé 32 millions de dollars pour sa plateforme qui permet de suivre l'engagement des collaborateurs, leur développement et leur performance grâce à des expériences gamifiées. Elle a déjà séduit des grands groupes comme Novartis, Verizon ou encore Microsoft selon qui l'adoption de l'outil a permis de faire progresser la productivité de ses agents de centre de 10% et de réduire le taux d'absentéisme de courte durée de 12%.

Une étude d'Achievers Workforce Institute révèle que depuis la pandémie, 46% des personnes interrogées se sentent moins connectées à leur entreprise, tandis que 42% déclarent que la culture d'entreprise a faibli depuis le début de la pandémie. Seulement 21% considèrent être très engagés au travail. La gamification des outils de communication d’entreprise pourrait-elle pallier ces trois écueils ? Depuis le début de la pandémie est apparue plus d'une dizaine de startups ayant recréé en ligne un univers spatialisé où les utilisateurs peuvent se promener et interagir avec l'environnement ou d'autres utilisateurs. Here (2020), Gather (2020), Nooks (2021), Branch (2020), Teamflow (2020), OpenTeam (2020), Teemyco (2019) et Bramble (2020), pour ne citer que les plus connues, offrent toutes un nouvel outil de communication novateur destiné aux entreprises ayant des employés travaillant à distance.

Les bureaux virtuels offrent une expérience plus ludique et immersive que les outils de communication traditionnels

La réplication virtuelle des espaces de travail physiques serait peut-être une solution pour favoriser les processus de socialisation et de sérendipité à l'œuvre dans les espaces de travail. L’arrivée rapide de ces nouveaux outils répond en tout cas à un besoin urgent de trouver de nouvelles méthodes de travail et de collaboration adaptés au travail à distance devenu presque largement généralisé. Directement inspirées de jeux vidéo à succès tels que les SimsWorld of Warcraft ou Empire, certaines de ces startups se positionnent à la fois comme les nouveaux intranets d'entreprise et comme une alternative à Zoom et Slack jugés trop limitants. L’objectif est clair : il s’agit de remettre la convivialité de l’expérience du travail en présentiel au cœur du travail à distance grâce à une expérience ludique et immersive.

 Côté design, les partis pris diffèrent selon les entreprises cependant. Gather propose par exemple de recréer les espaces de travail en 2D dans un style qui rappelle les jeux Zelda et Pokémon. A l’aide des flèches de son clavier, l’utilisateur peut se promener dans les espaces de travail répliqués digitalement. Il peut ainsi retrouver des collaborateurs dans des zones spéciales comme une salle de réunion où il pourra rejoindre automatiquement les autres collaborateurs qui s’y trouvent par vidéoconférence, ou alors errer dans certaines zones comme la cafétéria où il pourra rencontrer d’autres collègues pour des conversations informelles.

Interface de Gather. Source : Gather
Interface de Gather. Source : Gather

Le design de Gather peut sembler archaïque à bien des égards, surtout face à d’autres outils comme celui de Nooks. Cette autre startup a lancé sa plateforme en mai 2020 afin d’offrir un bureau virtuel designé pour des entreprises ayant des équipes basées dans différents bureaux. A l’inverse de Gather, Nooks ne propose pas une réplication 2D des espaces de bureaux mais des espaces de chat que les collaborateurs peuvent rejoindre à tout moment pour des sessions de brainstorming, des réunions ou des pauses informelles. Une fois que l’utilisateur a cliqué sur le groupe de chat qu’il souhaite, il rejoint la salle virtuelle composée d’une image en fond d’écran comme une salle de réunion ou une table de cuisine. De là, il peut discuter et collaborer efficacement notamment grâce à l’intégration de plus de 200 outils de travail comme Google Docs, Figma, ou Notion. Le principe reste toutefois le même : c’est à la charge de l’employé de se promener et d’aller à la rencontre de ses collaborateurs en cliquant sur les différents groupes de chat.

Expérience immersive de visioconférence de Facebook Horizon Workrooms. Source : Facebook Reality Labs

L’opportunité business qu’offre ce nouveau type d’outil est également séduisante pour les grands groupes. Facebook a ainsi annoncé fin août le lancement bêta d’Horizon Workrooms, son outil de réalité virtuelle pour visioconférence. Son CEO Mark Zuckerberg expliquait à la conférence de presse pour le lancement : “Nous ne devrions pas avoir à être physiquement ensemble pour se sentir présents ou collaborer ou réfléchir” (Axios).

Une question demeure : où mettre le curseur entre un réalisme poussé (3D, immersif) à la Facebook et une expérience 2D à la Gather ? A quel point le réalisme est-il un facteur important pour l’adoption et l’usage du produit, et son efficacité sur la collaboration et l’engagement des collaborateurs ?

Les bureaux virtuels peuvent favoriser un biais de proximité

Les risques inhérents aux virtual HQs sont similaires à ceux de l’open-space voire plus importants. En plus des risques de perte de productivité liée à une utilisation trop ludique de l’outil, de stress lié à une sur-communication attendue, ou encore d’un déséquilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, ces outils pourraient renforcer le biais de proximité déjà à l'œuvre dans les espaces de travail.

La proximité physique est en effet un facteur clé de collaboration, ce qui pourrait jouer en défaveur des collaborateurs travaillant à distance. Le Dr. Sara Beth Kiesler, professeure à l’Institut de l’Interaction Homme-Ordinateur de l'Université Carnegie Mellon, explique dans son article What Do We Know about Proximity and Distance in Work Groups? A Legacy of Research publiée en 2002 que la distance physique entre des bureaux et entre des lieux de travail impacte directement et fortement les opportunités de communication informelles et spontanées (se croiser à la cafétéria, à la sortie d’une réunion, etc.). “Ces rencontres informelles augmentent la commodité et le plaisir de la communication, et elles permettent des interactions non planifiées et polyvalentes (...). Le travail en cours progresse de manière plus fluide lorsque les gens communiquent souvent et spontanément. Grâce à une communication spontanée et informelle, les gens peuvent apprendre, de manière informelle, comment se déroule le travail des uns et des autres, anticiper les forces et les faiblesses de chacun, surveiller les progrès du groupe, coordonner leurs actions, se rendre service les uns aux autres et venir à la rescousse à la dernière minute lorsque les choses vont mal tourner”. En conséquence, “Cela implique que des liens forts seront plus difficiles à forger et à maintenir dans le groupe de travail distribué que dans le groupe de travail colocalisé”. 

Selon la chercheuse, l'utilisation des technologies de communication est susceptible d'être plus efficace lorsque les groupes de travail ont déjà noué des relations étroites. Alors que beaucoup d’entreprises se dirigent vers un fonctionnement hybride avec une partie des employés dans les locaux et une partie travaillant à distance, les effets néfastes du biais de proximité risquent de s’accentuer. Ce biais se définit comme la tendance inconsciente à favoriser les personnes qui nous sont proches physiquement parce qu’on les connaît mieux, parce qu’on peut les voir. Il implique potentiellement un effet halo qui pousserait les collaborateurs et managers à surestimer ceux qui les entourent et à négliger des personnes plus qualifiées mais plus éloignées. 

L’adoption du travail à distance implique d’adapter les méthodes de management

Dans son étude Does Working from Home Work? Evidence from a Chinese Experiment publiée en 2015, le chercheur Dr. Nicholas A. Bloom, professeur d’économie à Stanford, étudiant une agence de voyage chinoise, montrait ainsi que les employés travaillant à distance avaient une plus haute performance mais ne recevaient pas les mêmes opportunités de promotion, basées sur la performance, que leurs collaborateurs travaillant dans les bureaux. A long terme, ce biais peut entraîner des effets négatifs nombreux. Les employés à distance sont plus susceptibles de perdre confiance vis-à-vis de leur équipe et de leur manager. Cela peut aussi impacter négativement leur productivité puisqu’ils ne voient pas leur investissement reconnu adéquatement. Enfin, à terme, cela peut renforcer les inégalités entre les employés, et a fortiori si certains font déjà l’objet de discrimination.

Comment parer à ce biais de proximité alors ? Certaines entreprises comme Zillow et Salesforce, qui ont décidé d’adopter un système de flex office, ont par exemple changé les règles pour la tenue de leurs meetings : à partir du moment où un membre d’une équipe travaille à distance, les employés présents dans les espaces de travail doivent chacun se connecter sur leur ordinateur au lieu de se rassembler dans une salle de réunion.  L’entreprise Indeed, quant à elle, réfléchit à installer des écrans dans les cuisines de ses bureaux afin de permettre aux employés travaillant à distance d’engager des conversations informelles avec leurs collaborateurs. Au sein de l'entreprise Slack, les cadres ont accepté de ne pas travailler plus de trois jours au bureau chaque semaine afin de montrer l’exemple. D’autres comme Quora ont décidé de faire travailler toutes leurs équipes à distance afin d’éviter les potentiels biais liés à un fonctionnement hybride. 

Aussi, bien que ces outils de bureaux virtuels offrent de nouvelles perspectives sur les processus de socialisation et de collaboration d’une organisation et un vent de nouveauté, il reste à voir à long terme s’ils permettent réellement ou non de préserver l’engagement des collaborateurs travaillant à distance tout en évitant l’accroissement des inégalités et des discriminations.

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